mercredi, 14 janvier 2009
La guerre chinoise
"Il y a une guerre incessante : celle qui nous saute à la figure à travers le terrorisme déchaîné par la stratégie directe. Et une guerre plus secrète qui se mène sans cesse, pas seulement économique, et dont les Chinois sont en train de tirer la plupart des fils. Si l’adversaire est unilatéral, je vais faire du multilatéralisme ; comme l’adversaire est capitaliste, je vais devenir encore plus capitaliste. Pratiquer la défensive stratégique, utiliser la force de l’adversaire pour la retourner en ma faveur. Le Chinois s’appuie d’instinct sur la compréhension interne de ce que l’adversaire ose, veut, calcule et est obligé de faire. Il mène une guerre défensive qui peut durer une éternité : sa conception du temps n’est pas la nôtre. Cette guerre peut se prolonger indéfiniment pour user l’adversaire. Elle ne cherche pas l’anéantissement, mais la domination. C’est donc en prenant le point de vue chinois qu’on voit l’histoire de la métaphysique s’achever dans sa propre perversion : dans le nihilisme accompli, qui peut tout à fait être emprunté par la logique chinoise sans qu’elle sorte réellement de sa propre substance. L’être, le non-être, le néant sont redistribués autrement."
Philippe Sollers, Guerres secrètes, plus à lire ici
13:55 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guerre, politique, chine, philippe sollers, guerres secrètes
Ilya
" Le matin, le soleil raccourcit les distances, les yeux portent loin et tout près, l’oeil est comme dans l’oeil de sa perle close. On tient le le globe. Et de même que, dans la nuit, le cercle se referme et se met à plat, chaque matin-perle roule dans sa nacre, dans sa cornée, comme un dé. Là-bas, je vais le toucher là-bas, l’horizon, avec la main, avec une main mentale, mais en même temps la fleur, devant moi, cette rose, s’enlève avec un fracas silencieux. Il y a un soir, il y a un matin. Une racine d’obscurité, une autre de clarté. Ilya . Les étoiles filantes sont comme des lys d’or. On est dans l’anticyclone sec, ami des poumons, des contours. La lutte pour l’espace et le temps ne s’arrête pas une seconde.
Je suis au sud. Je regarde au nord. A droite, rose léger. Le soir, à gauche, couchant rouge. Nuit d’ardoise. On voudrait écrire directement là-dessus, à la craie.
La lune, tôt, fond bleu, trace blanche : un peu de lait, empreinte du pouce nocturne, à demi effacé, au bas du passeport jour.
Dans la brume bleutée permanente, matin et soir finissent par coïncider. C’est le temps vertical, la grande paix. Du geste du matin au geste du soir, c’est comme s’il s’était écoulé d’abord une heure, ensuite une demi-heure, puis un quart d’heure, puis dix minutes, puis deux minutes, puis une minute, puis trente secondes, puis dix secondes — et bientôt c’est le poudroiement intime du temps, j’enchaîne à pic, sans mémoire, le moment vient où je n’aurai plus la possibilité de noter.
Expédition de l’instant, loin, à côté, en Chine, croisière jaune, empire du milieu, tout a disparu, mer sableuse.
Mais le bleu et le blanc, plus ou moins profonds, taches mouvantes, ciel et eau, sont bien comme dans les vases innombrables, moine et disciple sous les pommiers en fleur, " ce monde est un vase sacré, impossible de le façonner ".
Et aussi : " Connais le blanc, adhère au noir. "
Je ne dirai jamais assez de bien du chinois, Reine, chacun de ses caractères, même le plus banal, m’aide à vivre. Tch’ong : l’eau jaillissante et le vide, vase qui ne se remplit jamais, ou si vous voulez davantage, profondeur insondable où tous les phénomènes se réalisent. Pourtant, tch’ong suffit. Quant au Saint et au Sage, il s’assoit face au Sud, et voilà tout.
Voilà tout .
Vers trois heures et demie du matin, donc, avec pour seuls témoins les feux dispersés de la côte, je me lève, je vais dans le jardin, pierrot lunaire, je développe en moi mes photos de la journée. La nuit est bouclée. Elle est enceinte du vide. Le noir se referme avec la dernière cigarette écrasée dans le gravier. Le pin parasol est l’arbre conseil. Le vent se lève, les étoiles brillent un peu plus.
" L’espace peut être rempli au point que l’air semble ne plus y passer, tout en contenant des vides tels que les chevaux peuvent y gambader à l’aise. "
Ou encore : " Il faut que le vrai vide soit plus pleinement habité que le plein. "
Assemblage air-vent-mer-fleurs-oiseaux. Les phrases à l’écoute. "
Philippe Sollers, Le lys d’or, 1989, Gallimard, p. 133-134.
Le Temple bouddhique à la montagne, estampe du X ème siècle, Li Cheng
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dimanche, 11 janvier 2009
La lecture de connaissance
La gnose, dans son insistance sur le Temps, n'arrête pas de dire que toute lecture fondamentale est cognitive, c'est-à-dire qu'elle produit des effets de connaissance. Lisez, lisez bien, lisez encore, et vous ne verserez pas dans la mort. Il ne s'agit pas de répéter des formules magiques, des prières, des borborygmes abrutissants, il ne s'agit pas non plus de textes "sacrés", mais d'un effet d'intelligence. La lecture de connaissance vous tire du temps mort. Elle est donc une révélation que le contrôle doit empêcher par tous les moyens, en menant une guerre sans merci dans l'imprimerie (désormais, dans nos régions, surabondance de livres pour noyer certains livres), mais aussi directement dans les cerveaux qu'il faut sans cesse occuper à autre chose. Toute lecture vivante est donc suspecte, passéiste, élitiste, surtout si elle se dirige vers les temps anciens, lesquels ne sont plus autorisés que sous préservatifs religieux ou universitaire. On veille ainsi à une stricte surveillance du grec, de l'hébreu, du latin, du sanscrit, du chinois classique, le district le plus surveillé restant quand même le français : il est vif, imprévu, il traduit tout ce qu'il touche, sa tendance claire et révolutionnaire est connue.
Philippe Sollers, Les Voyageurs du temps (vient de sortir)
13:58 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, connaissance, lecture, philippe sollers, les voyageurs du temps
lundi, 05 janvier 2009
Faites l'expérience
Faites l'expérience de vous dire sans cesse: j'étais là, je suis là, je serai toujours là, je suis avec moi jusqu'à la fin des temps, le ciel et la terre passeront, mais ma certitude ne passera pas. Le résultat est terrifiant ou comique. À moins de prendre tout ça à la légère, sur la pointe des pieds, de marcher sur l'eau, de voler. Regardez : j'ai l'air d'un boeuf mais je plane, je suis une mouette, un faucon, un héron. Ma vie est dans les fleurs, les marais, les vignes, les vagues. Je migre, je transmigre, je me réincarne au jugé. On m'enterre, je ressuscite ; on m'incinère, mes atomes persistent et se recomposent plus loin. Dans le monde humain, il m'arrive d'attendre longtemps avant de me reconnaître. J'ai des rêves, des attaques, des pressentiments, je fais des rencontres, je suis bien obligé d'admettre que je suis un autre, et soudain me revoilà, c'est plus fort que moi. Ici, il faut que je me parle doucement à mi-voix, comme quelqu'un qui a peur de réveiller des gens qui dorment et qu'il aime.
Ph.S.
Une Vie divine, Gallimard, Folio n°4533
00:15 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : faites l'expérience, philippe sollers, une vie divine
mardi, 30 décembre 2008
Il faut écouter ses photos si on veut les voir
00:15 Publié dans Photo | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : photo, willy ronis, philippe sollers
dimanche, 28 décembre 2008
Eden caché
En réalité, personne ne veut du paradis parce qu'il est gratuit. La joie, le bonheur, l'amour sont gratuits. Un amour qui n'est pas gratuit n'est pas de l'amour. C'est la raison pour laquelle le bonheur réel ne peut être que farouchement clandestin dans un monde livré au calcul.
Watteau, embarquement pour l'île de Cythère, détail
17:50 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ede, littérature, philippe sollers, watteau
samedi, 27 décembre 2008
En lisant Paradis de Philippe Sollers
eh madame la charcutière vous avez des pieds de porc oui oh mais alors ça doit vous gêner pour marcher c'est malin foutez-moi le camp petit imbécile
20:02 Publié dans humour | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, philippe sollers, paradis
Les Noces de Cana bis
Calembour extrait de Paradis, de Philippe Sollers, et Véronèse, Les Noces de Cana, détail
00:20 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : art, littérature, philippe sollers, véronèse, cana
samedi, 13 décembre 2008
Parce qu'il ne faut pas que ce soit parlé
- Pourquoi admet-on le bonnheur des peintres et pas celui des écrivains ?
- Ah, voilà.
- Mais pourquoi ?
- Parce qu'il ne faut pas que ce soit parlé.
Philippe Sollers, Le Coeur absolu
Matisse
05:27 Publié dans illuminations | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : art, littérature, philippe sollers, matisse
mardi, 18 novembre 2008
Citations
"Il ne s’agit pas de citations, mais de preuves."
Sortie de "Grand beau temps". Aphorismes et pensées de Philippe Sollers
13:20 Publié dans citation | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, citation, philippe sollers
lundi, 17 novembre 2008
Violette
Violette, de l'ancien français viole, même origine que violon. Tu mélanges le rouge et le bleu (I et O), et tu obtiens le violet : IO ! (le cri des cérémonies bachiques) .
Philippe Sollers, L'étoile des amants
Jacki Maréchal, Acrylique sur toile 60 x 80 "A873"
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vendredi, 14 novembre 2008
Métaphysique
Pour que l’homme soit, pour qu’il ne soit pas un rêve d’homme, il faut qu’il comprenne qu’il est une valeur métaphysique (je ne dis pas religieuse). Partout où il met de la valeur autre que métaphysique, il est nié par l’argent.
Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682), Deux femmes à la fenêtre (détail), v. 1655/1660, huile sur toile, 125.1 x 104.5 cm, National Gallery of Art, Washington
00:15 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, métaphysique, interview, murillo, philippe sollers
samedi, 11 octobre 2008
Une histoire d'entartage
"J’admire son sang-froid, dont voici une anecdote emblématique. Sur le chemin de la Maison de l’Amérique latine à Paris, où je l’accompagnais pour un débat, il se fait entarter, non par l’entarteur « professionnel », Le Gloupier, mais par un plagiaire. Avec une tarte aux myrtilles. Dans l’instant, je fonce sur l’agresseur, et lui saute dessus. Un passant, me croyant aux prises avec un voleur de sacs, me prête main-forte. J’écume. Je parle d’appeler la police. Alors Sollers arrive, tel un spectre, violet de myrtilles. Il me dit de laisser là l’entarteur, et de repartir pour où nous allions. Et pas question d’appeler la police. Il s’approche juste un peu de l’homme qui le traite de « bouffon médiatique » et force la voix en disant : « Riez ! » puisque c’est censé être un gag, la tarte. L’autre est médusé. Sollers hausse encore un peu le ton : « Riez ! Mais riez donc ! » L’autre ne rit pas du tout : l’injonction le terrorise. Et Sollers tourne les talons. À la Maison de l’Amérique latine, où l’on s’inquiétait, on est plutôt stupéfaits de l’apparition. Il demande de quoi s’essuyer et se laver le visage, me tend son imperméable maculé de myrtilles, mon manteau est tout collant aussi. Il entre dans la salle de débat, prie qu’on l’excuse de son retard et parle pendant presque une heure absolument comme si de rien n’était. Moi, quand vient mon tour, je suis encore tremblante de colère. Sans doute, ai-je dit pour amuser certains amis presents, parce que Je n al pas pu cogner assez fort sur l’entarteur..."
Josyane Savigneau, extrait de "Point de côté"
02:10 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, philippe sollers, josyane savigneau, entartage
jeudi, 04 septembre 2008
Plutôt Michel-Ange que les gros bouddhas peinturlurés
Lire ici dans le Journal du mois de Philippe Sollers
Michel-Ange, La Tentation d'Adam et Eve, détail, la Chapelle Sixtine
00:20 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : art, peinture, michel-ange, philippe sollers
mardi, 02 septembre 2008
Oublier...
Les hommes demanderont de plus en plus aux machines de leur faire oublier les machines
Philippe Sollers
08:33 Publié dans Papillote | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : machine, citation, philippe sollers
Cette absurdité cohérente
Pour parler carrément de métaphysique, mon attirance va donc à l’Église catholique, apostolique et romaine, dont l’histoire ténébreuse et lumineuse m’enchante. Des kilomètres d’archives souterraines, des saints dans les greniers, des diplomates dans les caves, des informateurs partout, de la charité, des hôpitaux, des mouroirs, des martyrs, un contact permanent avec la pauvreté et la misère, sans parler de l’audition impassible des impasses organiques en tout genre, et, par-dessus tout ça, une richesse et un luxe insolents, bref un Himalaya de paradoxes. Cette absurdité cohérente me plaît. En un mot : je n’aime pas qu’on veuille assassiner les papes.
(Philippe Sollers, UN VRAI ROMAN, Éditions Plon, 2007)
02:42 Publié dans illuminations | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe sollers, un vrai roman, littérature, pape, ange souriant, reims
lundi, 01 septembre 2008
Une hypothèse vertigineuse
Le temps, c’est de l’argent. Eh non… Pas seulement. C’est de l’argent pour une petite part, pour de la petite monnaie, et c’est pour cela que le ressentiment et l’esprit de vengeance, bloqués sur la transaction économico-politique, autrement dit financière, en veulent tellement et constamment, à n’en plus finir, chaque jour, à chaque instant et en ce moment même, au temps. Il fallait leur opposer une hypothèse vertigineuse : c’est l’Éternel Retour.
(Philippe Sollers, L'ÉVANGILE DE NIETZSCHE, Éd. le cherche midi, 2006)
01:10 Publié dans Philo | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : éternel retour, inde, nietzsche, nina houzel, philippe sollers
vendredi, 22 août 2008
Lire
"Ma stratégie a toujours été simple : elle consiste à inviter les gens à lire. C’est dans les textes que s’opèrent les identifications décisives. "
Philippe Sollers
08:56 Publié dans illuminations | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lire, philippe sollers, lecture
L'aventure humaine
« Depuis toujours, je forme ce projet d’écrire à qui serait situé à des milliers de kilomètres et d’années de ma propre existence, à un être sans attaches, sans croyances, sans amours, et seulement capable d’émotion pour ce qui importe : l’aventure humaine. »
Philippe Sollers, Une curieuse solitude
07:22 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, philippe sollers, une curieuse solitude
Nous sommes dans une Quatrième Guerre mondiale
On voit donc se dessiner l’enjeu militaire planétaire du XXIe siècle : il opposera les Etats-Unis à la Chine. Nous sommes dans une Quatrième Guerre mondiale, la troisième ayant été gagnée contre les Russes, à la fois par les Américains, pour la force de frappe et la guerre des étoiles, les Anglais, pour l’espionnage, et Jean- Paul II, pour le combat spirituel. Avec les Chinois, cela va être une autre paire de manches. [...]
Il y a une guerre incessante : celle qui nous saute à la figure à travers le terrorisme déchaîné par la stratégie directe. Et une guerre plus secrète qui se mène sans cesse, pas seulement économique, et dont les Chinois sont en train de tirer la plupart des fils. Si l’adversaire est unilatéral, je vais faire du multilatéralisme ; comme l’adversaire est capitaliste, je vais devenir encore plus capitaliste. Pratiquer la défensive stratégique, utiliser la force de l’adversaire pour la retourner en ma faveur. Le Chinois s’appuie d’instinct sur la compréhension interne de ce que l’adversaire ose, veut, calcule et est obligé de faire. Il mène une guerre défensive qui peut durer une éternité : sa conception du temps n’est pas la nôtre. Cette guerre peut se prolonger indéfiniment pour user l’adversaire. Elle ne cherche pas l’anéantissement, mais la domination. C’est donc en prenant le point de vue chinois qu’on voit l’histoire de la métaphysique s’achever dans sa propre perversion : dans le nihilisme accompli, qui peut tout à fait être emprunté par la logique chinoise sans qu’elle sorte réellement de sa propre substance. L’être, le non-être, le néant sont redistribués autrement.
Philippe Sollers, Guerres secrètes
Roy Lichtenstein
00:13 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : géopolitique, politique, guerres secrètes, philippe sollers